Souvent, quand on se déguise avec les petits, ou simplement qu’on met un chapeau ou des lunettes, j’ai tendance à emmener les enfants devant un miroir, pour qu’ils comprennent pourquoi leur nounoulau s’extasie comme une folle.

En effet, on a beau leur sourire et leur seriner qu’ils sont jolis, drôles, craquants, ils nous regardent avec un air de confiance, mais aussi un peu d’incompréhension, car ils ne voient pas ce qui a changé. Une fois devant le miroir, c’est un déferlement de sentiments dans leurs prunelles. C’est tout un poème de voir les réactions du petit devant son image : amusement, curiosité, étonnement. C’est qui ce copain bizarre que nounoulau me désigne ? A d’autres moments, il arrive simplement que le miroir soit le lieu d’un jeu de découverte, au hasard d’une séance de « crapahutage » dans la maison, bébé arrive devant cette grande vitre dans l’entrée et rencontre un autre bébé. Mais qui est ce coquin qui refait tout ce que je fais ?

Au hasard de mes lectures, j’ai pu apprendre que de grands psy accordaient une importance particulière à ce genre d’expérience, que nous menions au petit bonheur dans notre petit quotidien, de façon naturelle. Se regarder dans le miroir va permettre à l’enfant de prendre conscience de son corps. Il passe par plusieurs grandes étapes avant de comprendre que l’image du bébé dans le miroir, c’est lui ! A la naissance, le bébé n’a pas conscience de son propre corps. Il se croit le prolongement se sa mère et pense ne faire qu’un avec elle, dans un état de fusion. C’est aux environs de 4 mois qu’il réagit à son image reflétée par le miroir, mais comme il réagirait à la présence visuelle d’un autre enfant. Il ne comprend pas que le reflet n’est qu’une image. Cela l’intrigue, l’amuse, mais il ne se reconnait pas. Il sourit aussi au visage de l’adulte à côté du sien… sans avoir vraiment compris qu’il ne s’agit que d’un reflet. Peu à peu, au fil des mois, il  fait des signes à ce bébé en face de lui. Il le prend pour un autre enfant qui bouge en même temps que lui ! Il va chercher à toucher la glace, même à essayer de la contourner pour voir ce qu’il y a derrière : il veut attraper la main de son compagnon de jeu et l’embrasse (sur la bouche, par la force des choses!).

Vers 7/8 mois, bébé est amusé par ce copain en face de lui et adore jouer avec lui. Il a intégré son reflet comme un personnage supplémentaire de la maison. Il sourit à l’adulte dans la glace mais il va aussi chercher confirmation que ce reflet correspond à une réalité, en se retournant.
Petit jeu : bébé est assis face au miroir, on s’installe derrière lui puis on fait un signe sans bruit ni parole. Si le bout’chou se retourne, cela signifie qu’il a compris que la personne réelle est derrière lui : il commence à comprendre la notion de reflet. Dans cette évolution psychique du petit d’homme, survient vers 7 ou 8 mois un stade important pour son développement que le psychanalyste Jacques Lacan nomme le « stade du miroir » (Revue Française de Psychanalyse). Cette étape doit permettre au bébé d’identifier ce corps qui est à lui et qui est différent de celui de l’Autre (notamment: celui de la mère). Son corps, il l’a déjà exploré des mains, de la bouche, et ses yeux en ont enregistré des parties : il le connaît donc par petits morceaux, par touches successives comme les esquisses d’un futur portrait. Quand il se voit dans le miroir, il ne sait pas encore que c’est à ça qu’il ressemble dans son entier, il croit voir un autre.

L’adulte présent doit lui parler, lui expliquer ce que ce reflet est une image et que cette image le représente lui, en tant que petit individu. Cette parole va lui faire prendre conscience de son existence distincte des autres. Il va chercher confirmation en se retournant pour voir derrière lui. Cette étape du « stade du miroir » a une grande valeur symbolique dans l’évolution psychique de l’enfant. Elle le force à prendre conscience qu’il est différent de sa mère, et plus généralement des Autres. Elle lui donne des limites dans la vision de ce corps et de son propre contour, sa propre taille. Il se perçoit comme un tout, unique, entier, et aussi comme extériorité. Il découvre les parties de son corps qu’il n’avait pu explorer par le toucher ou le goût : son schéma corporel se construit. La relation affective que l’enfant entretient avec les autres devient consciente : c’est à dire que l’enfant sait qu’il a besoin des Autres. C’est une période très importante de distinction (d’où les angoisses de séparation qui arrivent généralement vers 9 mois…).
Par ailleurs, l’enfant découvre aussi que ce qu’il voit dans la glace n’est qu’une image et non un être réel. L’enfant (vers 18 mois) commence à comprendre que le miroir n’est pas une simple fenêtre : le copain en face ne peut pas attraper le jouet qu’il lui tend ! Et peu à peu le mystère s’envole : le pitchoun commence à parler, ce qui lui permet de se nommer, en tant qu’individu. Oui, c’est bien un reflet dans le miroir, et c’est le sien ! Le petit se reconnait alors avec une joie teintée de narcissisme. Après deux ans : plus de mystère, l’enfant en est certain, c’est bien son propre reflet qui parade dans le miroir, et il aime se reconnaître, s’admirer ! Peu à peu, il est presque déçu qu’il ne s’agisse pas d’un autre : une étape supplémentaire est franchie. Les jeux avec la glace l’intéressent de moins en moins (à part pour faire des grimaces), il préfère les copains en chair et en os !
Même si pour « certaines », le miroir reste pour longtemps un compagnon privilégié !

Miroir mon beau miroir, dis moi qui est la plus belle!