Bébé sangsue

Bébés portés, bébés gardés, cruelle dichotomie…

Je voudrais réagir à une émission des Maternelles s ur France 5, sur le portage des bébés.

Le titre en était « Bébé porté, bébé pot de colle ? » et cette interrogation annonçait, sinon un débat, au moins une présentation d’avis opposés, en développant plusieurs points de vue sur ce sujet.
Or, j’ai assisté à une émission entièrement consacrée à la réclame enthousiaste et incontestée du portage et du maternage proximal. Toute l’équipe était conquise et ra
vie de cette technique et les mamans-témoins-témoignaient de leur bonheur incoercible à porter leur bébé, parfois 24h sur 24h.
J’ai attendu vainement jusqu’au générique un avis plus modéré, voire un avis contraire, comme on pourrait s’y attendre dans une émission objective.

Je ne juge ni les réactions enthousiastes ni les témoignages idylliques, mais je déplore l’absence d’un avis médiateur, comme pouvait l’annoncer le titre dans sa deuxième partie : nul n’a évoqué l’aspect « pot de colle », accoutumance, addiction, et ses effets sur le bébé dans notre société occidentale où l’on donne un jour ou l’autre son bébé « à garder ».

En effet, c’est formidable, quand on a tout le loisir d’y consacrer du temps, de porter son bébé, de l’éveiller pendant nos activités, de répondre à son besoin de sécurité et de proximité affective, de le sentir dormir tout contre son sein et surtout, de l’entendre cesser de pleurer.

C’est génial de se comparer, comme le fait la présentatrice de l’émission, au peuple Peul qui a trouvé ce moyen d’éviter la peur du noir. On aurait pu citer aussi les peuplades d’Amazonie qui portent l’enfant dans une cintalarga jusqu’à ce qu’il sache marcher pour lui éviter les dangers de la jungle.
Seulement, voilà, on oublie de préciser que la maman Peule n’a pas forcément l’électricité dans son suudu en paille tressée et qu’elle va s’occuper constamment de son petit et de ses frayeurs, même à la reprise de son labeur quotidien; ainsi que la femme Guayaki qui emportera partout son bébé, même quand elle reprendra son activité de cueillettes dans la forêt sauvage…
Contrairement à la femme occidentale qui, faute d’avoir la chance (ou l’envie) de prendre un congé parental, ne pourra porter son bébé dans sa belle écharpe au bureau ou autre lieu professionnel (sauf les assmats!) .
Elle devra se séparer physiquement de son bébé-porté et déléguer les soins quotidiens à une crèche (!!!) ou une assistante maternelle (!) parfois plus de 10h par jour.

Je sais qu’il y a des assistantes maternelles qui pratiquent le portage, mais quand on a trois ou quatre bébés en bas âge en même temps, je pense qu’une nounou, même pleine de bonne volonté, n’est pas aussi zélée qu’une maman qui s’est dédiée uniquement à son enfant depuis sa naissance. Celui-ci fait alors cruellement la différence et il tombe des nues (sans jeu de mot) !
Alors, dans cette émission, personne n’a évoqué la détresse de ce nourrisson de deux mois et demi, qui vivait dans la permanence de la présence du corps de sa maman, et s’en voit soudain arraché pour des raisons professionnelles qui le dépassent. Personne n’a évoqué ses hurlements de désespoir quand il voit son univers s’écrouler, ses habitudes disparaître soudain au profit de l’apparition du transat ou de la poussette, du parc ou du tapis d’éveil, véritables engins de torture inédits dans lesquels il sera allongé au lieu de passer sa journée, voire ses nuits, debout contre un matelas vivant auquel il était si bien accoutumé. Personne n’a évoqué cette difficulté supplémentaire apportée au moment de la séparation, et je le regrette car elle est réelle et je parle d’expérience.
Cela ne veut pas dire que je suis contre le portage ou le maternage, quand on prend le temps de s’y consacrer, quand c’est uniquement une source de plaisir, de découverte, de partage et de réconfort et non une contrainte ou un assujettissement, juste pour éviter les pleurs de bébé.
Si je m’insurge, c’est contre l’excès, ou l’addiction créée par des adultes qui vivent le portage comme une satisfaction personnelle, sous couvert de combler le bébé, et ne préparent pas leur nourrisson à la frustration brutale dans laquelle ils vont le plonger en le faisant soudain garder par « autre chose » que le doux ventre de maman.
Je pense qu’un avis médiateur aurait consisté à parler de cette difficulté engendrée par le maternage proximal, quand on est une femme qui travaille, et de réfléchir à une façon de sevrer le bébé du portage, comme on le sèvre de l’allaitement, pour que cela se fasse en douceur et pour le bien véritable de l’enfant plus que pour le confort des adultes.
En conclusion, je pense qu’’il faut se méfier de l’exclusivité et que pour un bon développement de l’enfant, il faut multiplier les expériences, les activités et par là-même, les formes de portage.

Mais ceci est l’avis de l’assistante maternelle en moi, le point de vue de la professionnelle… pas de la maman qui, au siècle dernier, n’a pas attendu la mode de l’écharpe et des cours de portage pour jouer l’arapède à sa façon …

 

Photos Afrique Amazonie :

-Femme Peule et enfant, www.jpf-photo.com/331/burkina-faso-photographies, Jean Paul Falguière

-Enfant, fille Yanomani, www.eden-saga.com, Xavier Séguin

4 comments on “Bébé sangsue

  1. Bonjour, je rejoins complètement cette réflexion et cette interrogation que vous développez dans cet article. Les difficultés de la séparation sont actuellement très mal préparées, on parle davantage de rapprochement maternel (bien que très important aussi) et on oublie la dure réalité !

    Bonne continuation sur ce joli blog.
    Emilie, assistante maternelle.
    https://leptitnid-emilie-assmat.jimdo.com

  2. Bonjour, merci pour cette analyse .je suis assistante maternelle et je vis ceci avec un petit loulou en ce moment . Je trouve cela tellement violent pour lui même si je fais de mon mieux .

    • Bonjour. Eh oui, difficile de trouver un juste milieu! Heureusement, le fait d’être accueilli avec d’autres enfants aide quand même à apprendre à partager le bras de l’adulte (sur le long terme!) Courage!

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