Paroles de l’enfant, métiers à risque

Que fait nounoulau quand il pleut à torrent le samedi?

Elle assiste à la conférence du Dr Jean CHAMBRY, (pédopsychiatre, chef de pôle, CHI Fondation Vallée, Gentilly, CHU Le Kremlin-Bicêtre) organisée par l’ARDEPAMF 13 sur le thème :

PAROLES DE L’ENFANT, METIERS à RISQUE.

Un thème  grave qui s’adresse à tous les professionnels de l’enfance, mais aussi (à mon avis) à tous les adultes curieux de mieux comprendre ce qu’il se passe dans nos chères « têtes blondes »… malheureusement il n’y avait pas foule dans la belle salle Trenet à Salon. Était-ce un indicateur de l’importance que l’on donne à ce sujet ? Je préfère croire naïvement que les intempéries furent la seule cause de ce désistement.

Le thème principal de cette conférence est, comme son nom l’indique, la parole de l’enfant dans toute son ambiguïté, car même si l’enfant est considéré comme une personne à part entière disposant de droits et de protection, on s’interroge toujours sur les critères de fiabilité ou de non fiabilité de la parole qu’on est disposé à prendre en compte.

Le thème sous-jacent à une bonne partie de cette conférence concerne la parole en tant qu’accusation d’abus sexuel. On est loin des broutilles rigolotes que nos loulous peuvent raconter le soir pour se faire plaindre par papa-maman, et Jean Chambry est resté sobre et grave tout au long de son exposé, que je vais tenter de résumer ici.

Tout d’abord, il convient de faire un saut dans l’Histoire pour réaliser combien la place de l’enfant (et de sa parole) a évolué dans notre société. Il n’y a pas si longtemps, la parole de l’enfant n’était pas entendue/écoutée par les adultes car l’enfant n’avait pas une place d’individu à part entière dans la société. Son manque de maturité cognitive, sa propension à l’imagination, tout contribuait à rendre sa parole peu fiable ou digne d’intérêt. (Et Jean Chambry de donner quelques exemples de sa propre enfance où les enfants ne parlaient pas à table… le saut dans l’Histoire n’est pas si lointain!) L’enfant n’avait pas de droit juridiquement.

Depuis, la société a évolué. De nos jours, c’est l’inverse, l’enfant est au centre de la vie familiale, il prend la parole dans les conversations des adultes, on lui demande son avis. Maintenant, il existe la La Convention internationale des Droits de l’Enfant, (un traité international adopté par l’Assemblée Générale des Nations Unies, qui ne date que du 20 novembre 1989) qui prend en compte l’enfant comme un individu et tente de le protéger contre la maltraitance physique ou psychologique et qui essaie de protéger les victimes des agressions sexuelles.


Cette évolution est bénéfique mais le revers de la médaille est que la parole de l’enfant est sacralisée et elle prend un poids considérable en justice et peut détruire des vies quand elle n’est pas honnête. Tout le travail des professionnels de la protection de l’enfance est de la prendre en compte tout en conservant la bonne distance objective pour déterminer la fiabilité de cette parole.

Dans ce cas, on peut se demander ce qu’est une parole fiable? Est-ce dire la vérité? Être objectif? Digne de foi? Une parole fiable doit refléter fidèlement sa connaissance exacte de la réalité extérieure, ou de la réalité de soi en tant qu’objet de connaissance. Mais l’authenticité, c’est aussi la restitution d’un monde intérieur et le ressenti peut déformer nos représentations, c’est l’interprétation. Pour preuve: les relevés de témoignages différents lors d’un même événement.

Pour avoir la capacité d’être fiable, il faut une bonne santé mentale, un bon rapport à la réalité et une bonne confiance en soi. Il ne faut pas de déficits cognitifs, et une intelligence globale et sociale suffisantes.Les déficits sensoriels et cognitifs, les maladies psychiatriques (autisme, psychoses) sont de véritables entraves de la fiabilité.

Chez l’enfant, on peut estimer qu’à partir de 2 ans la fiabilité est possible, mais elle dépend d’énormes variabilités individuelles. Le petit est en pleine acquisition du langage par l’imitation et il est extrêmement influençable. Les possibilités d’erreurs sont grandes à cause de l’immaturité de son langage et la grande part d’imagination qui le constitue. C’est vers 4 ans que l’enfant devient vraiment capable de reconnaître la réalité et d’en parler: il a acquis un espace psychique différencié, par le « non », il peut se différencier et différencier la réalité de l’imagination.

Cependant, de nombreux facteurs conjoncturels interviennent sur la fiabilité de la parole: l’intensité excessive des émotions peut perturber ce qu’on a vécu, il en découle des interprétations, des intentions qui modifient la réalité. Le contexte environnemental peut encourager la fiabilité comme être un facteur de risque, par la suggestion. La capacité à investir sa propre pensée peut mener à l’autosuggestion et perturber la parole jusqu’à l’affabulation ou au mensonge.

L’affabulation, c’est enrichir la réalité sans intention frauduleuse, pour exagérer afin d’attirer l’attention, se créer un roman familial, un ami imaginaire. C’est une façon de se créer un soutien narcissique. Par contre, trop d’affabulations sont le signe d’une souffrance, d’une mauvaise image de soi, d’une réalité insupportable. Il faut adopter une position éducative face aux affabulations (en tant que professionnel, mais aussi en tant que parent): il faut porter attention aux sentiments de l’enfant plutôt qu’à ses inventions. Il faut l’aider à accepter son sentiment de frustration. Par exemple dans le cas de l’ami imaginaire, ne pas faire comme si on le voyait, montrer qu’on n’est pas dupe mais qu’on comprend que l’enfant ait besoin de se le créer.

Le mensonge est une affirmation contraire à la vérité et une intention de tromper. Il dépend de l’assimilation de la notion d’interdit et ne peut apparaître qu’à l’âge de « raison » (vers 6 ans), où la notion de sens moral (surmoi) est acquise. Il y a mensonge quand il y a intention de manipuler, de tirer profit de la situation. Il existe des mensonges utilitaires, pour tenter de faire correspondre la réalité à ses désirs, obtenir un avantage, acquérir du pouvoir, éviter un désagrément, éviter une situation embarrassante, protéger un tiers ou sa vie privée. Il y a le mensonge social, les arrangements avec la vérité qui ont pour but de maintenir la socialisation. Les mensonges peuvent aller de la dissimulation, à la falsification, la tricherie, la fraude.

Statistiquement parlant (INSEE) certains enfants sont plus enclins au mensonge: ceux qui ont une absence de confiance en soi, mais aussi des facteurs extérieurs peuvent jouer sur la facilité à mentir, des parents menteurs, des conflits dans le couple parental ou le rejet parental. L’influence d’un groupe de copains (ados), l’abus sexuel. Pour être un bon menteur, il faut une bonne mémoire et de bonnes capacités intellectuelles qui permettent l’élaboration d’une stratégie, de la rapidité de réflexion, un contrôle des émotions et de l’empathie.

Le Dr Chambry propose des positions éducatives pragmatiques face au mensonge: il faut prendre en compte la complexité du monde des adultes où le mensonge social est de mise. Il faut rester calme, dialoguer, montrer qu’on n’est pas dupe sans jamais humilier. Chercher à comprendre les motivations et les buts du mensonge. Il faut faire la différence entre le comportement de l’enfant (le mensonge est mauvais) et l’enfant lui-même (tu n’es pas mauvais), et surtout valoriser ses actes honnêtes et lui donner l’occasion de s’excuser ou de réparer.

Les réactions des adultes sont souvent la colère, la culpabilité, la responsabilité, l’envie de punir: mais dans ce cas il faut que la punition soit un outil de réhabilitation et non une humiliation. Certaines attitudes parentales favorisent le mensonge: la valorisation de la ruse, ou à l’inverse le fait d’ignorer le mensonge fait des adultes des proies trop faciles à berner.

Il faut faire face au mensonge: ne pas laisser passer, ne pas tendre de piège non plus, gérer sa colère. Ne pas chercher à se venger, rappeler la loi, le cadre, valoriser la confiance: c’est un lien qui se construit, se déconstruit et se reconstruit. Renforcer la sincérité.

Lorsque le Dr Chambry aborde le thème de « la nature des faits relatés », la parole de l’enfant n’est plus traitée dans sa globalité (d’après mon sentiment) mais concerne presque exclusivement la parole en tant qu’accusation, et plus précisément, accusation d’abus sexuel. C’était le non-dit contenu dans le titre. Nous y voici.

Quand la parole de l’enfant accuse, il faut être certain que la parole est donnée sans pression d’un tiers. Il y a peu de chance que soit fausse une affirmation où il est question d’avoir été abusé intentionnellement par un agresseur estimé dangereux ou puissant aux yeux de l’enfant. Il faut beaucoup de courage pour accepter de reconnaître ce type d’agression. Sauf si l’enfant subit la pression d’un tiers, ou s’il utilise un mensonge cruel comme outil de pouvoir sur l’adulte.

Mais quels sont les indicateurs de fiabilité de la parole de l’enfant? Le Dr Chambry nous donne quelques pistes: l’enfant/ado éprouve des difficultés à parler, il libère un discours spontané, désorganisé mais cohérent. Les détails sont concrets mais le discours est émaillé de doutes et d’incertitudes. Il utilise un vocabulaire de son âge. Il éprouve du stress. On constate un appauvrissement du discours si on fait répéter: si il ne se sent pas cru, il ne voit plus l’intérêt de révéler.
Avant 6 ans: l’expression est innocente, naïve, l’enfant n’a pas conscience de la gravité de sa parole mais un bouleversement émotionnel trouble son discours. A l’adolescence, il éprouve de la honte et des difficultés à parler, il dissimule des événements.

La parole de l’enfant est à prendre en compte dans tous les cas. Mais il existe malheureusement des situations de non-fiabilité: 3 à 8% des allégations d’abus sexuels sont fausses chez les enfants de moins de 8 ans et 5 à 10% chez les ados. Pourquoi? Les raisons sont multiples et variées: Elles sont dues à des pressions extérieures ou d’un effet de groupe, une forte dramatisation qui pousse à l’autosuggestion. Elles proviennent d’ados carencés, en demande de tendresse, ou déçus par l’adulte, ou en état de haine.

Il existe des indicateurs de non-fiabilité de la parole sur lesquels peut s’appuyer le professionnel de la protection de l’enfance (ou n’importe quel adulte qui reçoit cette parole) : le contexte doit être minutieusement étudié, on doit savoir si l’enfant ou l’ado tire un bénéfice de cette accusation. De trop grandes incohérences, une incapacité à divulguer des détails ou des détails exagérés, une excitation hors de propos, un vocabulaire trop plaqué, sont aussi des indices qui peuvent aider à se rapprocher de la vérité. Il faut cependant se méfier des risques du recueil de la parole de l’enfant : ne pas poser des questions qui entraînent une suggestion ou l’induction de paroles. Il faut veiller à la capacité de l’enfant à vouloir faire plaisir à l’interrogateur, s’il agit dans la séduction c’est incompatible avec une agression.

Quand on est professionnel de l’enfance (assistant familiaux surtout, à qui sont confiés des enfants/ados à temps complet), il faut créer un cadre sécurisant, partager ses ressentis, ses questionnements, ses doutes avec l’instance qui a placé l’enfant/ado. Ne pas avoir peur de parler de ce qu’on n’arrive pas à faire. Ne pas garder de secret entre l’assistant familial et le cadre du placement. S’il n’y a pas de confiance, il y a risque que la parole de l’enfant devienne un moyen de pression, un danger. Il faut se positionner de façon très prudente avec les ados. Faire attention à l’intimité, ne pas répondre à leur désir de séduction. Il faut devancer les choses dans le dialogue avec les parents. Pratiquer des temps de rencontre et de discussion pour éviter les fantasmes.

Qu’est-ce qui peut motiver à faire une accusation calomnieuse? Parfois, l’enfant/ado placé vit une attente que rien ne comble, ou il refuse d’investir un autre lien par peur de trahir le parent, il a peur que cette relation disqualifie son parent. Un placement trop bon/agréable induit une comparaison avec la situation insécure vécue avec le parent et un sentiment d’injustice, de frustration. Un antécédent d’abus sexuel peut modifier la relation à l’autre. Enfin, une blessure narcissique chez un sujet qui a déjà une mauvaise image de soi peut conduire à un désir de vengeance. Face à une accusation calomnieuse l’adulte est sidéré, il n’arrive plus à investir la relation avec l’enfant/ado. C’est aussi une remise en question de soi, de ses compétences de professionnel de l’enfance. Il est déçu, en colère et cela est destructeur pour la relation.

Le principe de présomption d’innocence devrait être supérieur au principe de précaution. Mais ce n’est pas toujours le cas.

En conclusion, le Dr Chambry rappelle que la parole de l’enfant est importante, mais il faut être conscient que sa fiabilité est parfois discutable. Dans le cadre d’un rapport de professionnels/enfants, il est très important de sécuriser le cadre du travail en amont, d’échanger, de dialoguer en toute transparence.

 

 

 

 

9 comments on “Paroles de l’enfant, métiers à risque

  1. Merci
    Magnifique compte-rendu, merci.
    Comme vous, j’espère que le peu de personnes présentes est du aux intempéries et non à un désintérêt. Il y avait quand même des personnes des Alpes Maritimes, du Gard, du Vaucluse, des Alpes Maritimes qui n’ont pas craint de se déplacer.
    M. Chambry égal à lui-même, captivant.

    • Merci du compliment. Effectivement, c’est toujours un plaisir de l’écouter parler de façon si naturelle et d’apprendre toujours et encore… cela nous permet de nous remettre en question et nous adapter sans cesse.

  2. avec un grand plaisir je retrouve ton blog qui réapparait dans ma blogroll ! depuis que je ne limite plus aux derniers 20 articles…bingo je tombe sur cet article, j’adore, je l’imprime et le range ds mes docs. merci infiniment. bisou

  3. Coucou,
    Ma cops c est toujours un plaisir de t accompagner depuis maintenant plusieurs années a ces conférences qu organise l Ardepam pour nous professionnelles .
    Dommage que d années en années nous constations cette baisse de fréquentation. Mais cette fois ci on va dire que c est a cause du mauvais temps . On fera mieux l année prochaine
    Encore un bravo pour ton article, toujours aussi juste
    Bisous

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