Dire non, acte d’amour

« Dire non est un acte d’amour »

Petit compte-rendu de la conférence de Jean Chambry, (pédopsychiatre, praticien hospitalier à la Fondation Vallée, chef de pôle et président de CME, chercheur à l’INSERM U669, activité clinique actuelle : la Fondation Vallée et le CHU Du Kremlin-Bicêtre.)

Quand on choisit d’aller à une conférence, la plupart du temps, on a des prérequis sur le sujet. On est déjà enclin à opiner du chef, à trouver un grand spécialiste qui vous confortera dans votre opinion par des discours élaborés. En tout cas, tel est mon cas. C’est pourquoi, j’avais un fort apriori positif sur le fait que « dire non est un acte d’amour » .
Si, par hasard, un auditeur n’était pas dans ces prédispositions lors de la conférence de samedi à Salon de Provence
, il n’a pu ressortir que conquis, sinon convaincu, par la prestation de Jean Chambry, véritable orateur à l’élocution fluide, au discours très professionnel mais toujours abordable, au conférencier à l’écoute de ses propres auditeurs.


Après une première partie assez conventionnelle, appuyée sur un questionnement direct du public et un plan rationnel défilant sur grand écran, nous avons assisté, lors de la seconde partie, à un véritable one-man-show où le psychiatre, une fois dégagé du cadre de son diaporama, nous a montré ses facettes tour à tour humoristiques, théâtrales et profondément humaines, sans jamais s’écarter du sérieux de son sujet.

Voici ce que j’ai retenu, du haut de mon fauteuil d’orchestre et de mes modestes capacités de compréhension. Le véritable enjeu de cette conférence n’est pas vraiment de répondre à la question de savoir si l’enfant a besoin de limites (car tout le monde avait l’air dans les mêmes prédispositions que moi), mais surtout de savoir comment les créer pour qu’elles soient bénéfiques.

L’enfant a-t-il besoin de limites et pourquoi?

Les limites, importantes pour la socialisation, ne se font-elle pas au détriment de l’épanouissement personnel?

L’enfant a besoin de se construire.

C’est un être immature qui, particularité de l’espèce humaine, est dans une dépendance totale à l’adulte quand il est bébé. L’enfant doit donc vivre un travail d’étapes successives avec l’adulte afin d’accéder au processus d’individuation et d’autonomisation.
L’adulte, pour sa part est un être plus accompli, dans le sens où il a acquis un espace de pensée qui lui appartient, il n’a plus besoin du regard de l’autre pour exister et montrer qui il est (sauf en cas de fragilité narcissique).
En effet, ce qui différencie les humains des autres mammifères, à part le langage, est la conscience réflexive (la conscience de soi), un outil psychique qui permet de se penser, de créer des images mentales, de faire un travail de représentation. Ce travail de reconnaissance de soi n’est pas inné chez l’enfant, mais doit être construit en interaction avec l’adulte.

La fonction réflexive est une spécificité humaine. L’humain a une grande avidité d’images, et il a besoin de se construire une image de soi comme vérité. Ainsi, pour savoir qui il est, il fait référence à des représentations construites par lui-même, parfois différentes de ce que les autres perçoivent.


Comment se construit l’image de soi?

Le processus repose sur l’interaction avec les adultes qui s’occupent de l’enfant. L’investissement de l’adulte est un miroir qui lui permet de se construire et d’acquérir une solidité par rapport même au regard des autres.
La fonction réflexive permet d’établir d’autres investissements que « la loi du plus fort » qui régit l’équilibre animal. Elle est au cœur du processus de civilisation car, en plus de l’image de soi, elle ouvre la possibilité d’une représentation de l’idéal. Et afin de s’en rapprocher, il faut canaliser l’agressivité, la pulsion naturelle de l’instinct de protection, par la civilisation (justice, collectivité).
Pour se rapprocher de l’idéal de sa représentation de soi, il faut investir les outils psychiques fournis par la société, la culture, la famille, les parents. Cet idéal est aussi source de créativité, il permet que l’humain modifie l’environnement selon ses désirs et non l’inverse.
Avoir de l’idéal est une motivation, mais il faut pouvoir supporter l’écart entre cet idéal et sa propre image de soi, sinon cela conduit à une agressivité gratuite et sans limite.
Les rencontres avec l’autre permettent de se construire par comparaison, mais si elles sont source d’insécurité, elles découlent aussi sur de l’agressivité.

Agressivité et socialisation.

L’enfant, même s’il fait l’expérience de différences cognitives et biologiques, a besoin d’être investi par des adultes qui ont du plaisir à s’occuper de lui. Il a besoin d’apprendre à supporter la frustration, la temporisation. Pour cela il existe un outil tel que la capacité de rêveries, qui doit être soutenue et construite, notamment par des limites.

(Là, je zappe tout un pan socio-culturel qui analyse le désir d’enfant dans notre société de consommation).

Quel est le sens des limites?

Les limites sont une expérience de la frustration, non pas dans une relation tyrannique, mais par un accompagnement bienveillant de l’enfant lorsqu’il vit des expériences qui vont le frustrer.

Il faut admettre la spécificité de l’enfant et de ses besoins : l’enfant est un être immature qui a des besoins différents de ceux de l’adulte. Il faut accepter la différence des générations et ne pas agir en copain pour l’enfant qui a besoin, pour se sentir en sécurité, d’avoir des adultes responsables et capables de prendre des décisions nécessaires pour le protéger du danger.

Telle est la motivation préalable à toute limite imposée: la protection.
L’adulte doit toujours se demander: est-ce bon pour l’enfant même si cela provoque une situation conflictuelle?
C’est un travail ingrat qui engendre de la frustration, demande de l’énergie, de la disponibilité et dont la motivation principale est l’amour pour l’enfant. Lui imposer des limites doit se faire par amour, pour le protéger, et non dans un simple rapport de force stérile. L’adulte ne doit pas être inquiet de recevoir l’agressivité de l’enfant, car il doit avoir confiance en lui. L’adulte est un miroir pour l’enfant et l’enfant ne doit pas être un miroir pour l’adulte car cela fait porter à l’enfant une responsabilité qui le prive de son enfance et ne lui permet pas de faire confiance aux adultes, aux autres.
L’enfant qui n’a pas de limite ne peut acquérir les outils psychiques qui lui permettent d’accéder à la capacité de rêveries, de temporisation, et d’éviter l’agressivité.
Il a besoin du « non » comme d’un acte d’amour qui le protège des envies qui le débordent, de ses pulsions d’immédiateté.
Il faut expliquer les limites afin qu’elles aient un sens, n’aient pas l’air arbitraires, ne s’inscrivent pas dans un rapport de force. L’adulte doit agir avec assurance, porter la responsabilité et apporter la confiance, même si toute cette compréhension mutuelle n’évite pas les conflits.
Il faut concevoir l’autorité non comme de l’autoritarisme mais comme une façon d’être le tuteur d’un être encore immature. L’obéissance n’est plus alors de la soumission mais l’intériorisation progressive de la conscience que les adultes agissent pour son bien et l’enfant fait ainsi l’apprentissage de la confiance.
(Bien sûr, ces rapports de confiance doivent trouver écho dans la confiance entre adulte, ce qui n’est pas toujours le cas dans notre société narcissique… mais ceci serait le sujet d’une autre conférence.)

D’après ce que j’ai compris de cette conférence, je pense qu’en conclusion on peut ainsi réponde à l’une des questions liminaires : les limites, importantes pour la socialisation, ne se font-elle pas au détriment de l’épanouissement personnel? Non, puisqu’elles permettent d’acquérir les outils pour supporter la frustration et avoir accès à des zones de plaisir. Ces outils sont fondamentaux dans l’organisation psychique de l’enfant et la construction de sa personnalité, donc de son épanouissement personnel.


Enfin, je voudrais apporter ma petite touche personnelle, et bien terre à terre : personne ne se pose la question de la légitimité du « non », des « limites » et de leurs conséquences sur l’épanouissement de l’enfant quand il veut mettre les doigts dans une prise, non?

21 comments on “Dire non, acte d’amour

  1. bravo Laurie, dis donc, quel niveau ! j’ai du prendre plus de temps pour lire. c’est excellent. d’où attention mesdames et messieurs les parents, choisissez bien ! je mets un lien.

    • C’est sûr que, cette fois-ci, il n’y a pas trop de photos pour aider à lire en diagonale, d’un coup d’œil. Mais je me suis tellement régalée qu’il fallait que je fasse partager cette expérience! Cela permet de rendre précis et sensés des actes qu’on tente de mettre en pratique au quotidien, mais en tâtonnant si souvent!

  2. Merci pour cet article très bien écrit . Cela a dut te prendre pas mal de temps . Cette conférence devait être très intéressante Je suis d accord avec Colette 5/5 .

    • Merci du compliment!
      En fait, je me la suis jouée « étudiante » en prenant plein de notes, le plus difficile a été de ne garder que les grandes lignes (en effet, je n’ai pas l’étoffe d’un Jean Chambry pour vous tenir en haleine trois heures durant!)

  3. Bonjour,
    je consulte votre blog régulièrement. J’ai déjà eu l’occasion de faire plusieurs de vos recettes et je vous en remercie.
    je viens de lire votre compte rendu et je le trouve excellent.
    Est ce que je peux imprimer votre texte pour le partager avec d’autres assistantes maternelles ou le mettre sur mon mur Facebook ?

    D’avance merci.
    Marie josé Jullien

    • Merci pour les compliments, cela fait toujours plaisir!
      Bien sûr, ces articles sont faits pour être partagés, merci d’avoir posé la question, c’est respectueux.

  4. Régulièrement je consulte votre compte. Vos recettes sont excellentes.
    e t bravo !! pour votre compte rendu de cette conférence. c’est super !!!

  5. Bonjour,

    Je vous félicite pour le résumé écrit au sujet de la conférence donnée par Jean CHAMBRY à l’initiative de l’ARDEPAMF.13.

    L’association a à coeur de présenter des conférencier de qualité. La conférence de Jean CHAMBRY était la quatrième. Depuis 2009, nous avons reçu Jacques Salomé, Guillaume BRONSARD, Jean EPSTEIN, en 2013 c’est Reynald BRIZAIS qui nous apportera ses connaissances autour du thème « PARENTS STRESSES, PARENTS PRESSES : PLUS LE TEMPS D’ÊTRE PARENTS ».
    Cette conférence qui promet d’être intéressante apportera ,sans nuls doutes, des pistes de réflexion. Bonne journée. Cordialement.
    Pascale PRATI
    Assistante Maternelle
    Secrétaire ARDEPAMF.13

    • Merci! Oui, j’attends avec impatience les conférences futures, c’est très intéressant d’apprendre et de réfléchir par ce moyen.

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